Edito Décembre : « L’Immaculée Conception et la modernité »

7 décembre 2025

par le P. Paco, curé

Lorsque Marie se révèle à Bernadette Soubirous en ces termes inouïs : « Je suis l’Immaculée Conception », elle oppose à la modernité une contradiction silencieuse, mais d’une radicalité éclatante. En effet, cette affirmation, ancrée dans le mystère de la grâce, entre en collision frontale avec la vision dominante de notre époque, qui considère le péché comme une notion malsaine et la culpabilité comme un poids inutile. L’idée qu’une créature humaine puisse être conçue sans péché semble étrange, voire anachronique, à beaucoup, tant elle est étrangère à nos catégories culturelles.

Pourtant, ironie presque prophétique, ce mot d’« immaculé », que nos contemporains tournent en dérision, resurgit subrepticement dans leurs propres représentations. Il revient, mais travesti. Ce qui, en Marie, est le fruit d’un don surnaturel, l’accueil intégral de la grâce jaillie de la Pâque du Christ (dogme), devient dans notre monde un mécanisme social aveugle et aveuglant : une manière de se tenir pour pur sans conversion, de se croire justifié sans rédemption.

L’épisode de la source de Massabielle en porte la symbolique incisive. Marie demande à Bernadette de creuser la boue jusqu’à ce que l’eau pure jaillisse. Cette eau existe, cachée sous l’épaisseur opaque du sol, comme en chacun de nous se cache un noyau inviolable où le mal n’a pas accès. En grattant la terre, Bernadette se retrouve « plein la figure » de boue, ce qui provoque la dérision des « tenants des Lumières » de son village, qui la prenaient pour une enfant délirante. Ne se moque-t-on pas aujourd’hui de la même manière de ceux qui prennent encore au sérieux le péché, la grâce et la vie surnaturelle pour comprendre l’être humain ?

Notre culture libérale entretient un autre récit : l’homme serait par nature bon et moralement pur, et le mal n’aurait d’autre origine que les structures extérieures (sociétés, traditions, religions, institutions). Cette vision, héritée de Rousseau et reprise par de nombreuses idéologies modernes, finit par dissoudre la réalité du mal et le combat intérieur. Au fondement de cette anthropologie se trouve l’illusion de la pureté humaine.

La modernité érige l’homme en créature « immaculée », affranchie de toute faute. Il suffirait, pense-t-on, d’abolir les institutions oppressives pour que la bonté naturelle de chacun jaillisse. De cette croyance découlent nombre de nos constructions politiques et idéologiques : un libéralisme qui sacralise l’individu et sa volonté souveraine, ainsi qu’un progressisme, parfois relayé par certaines formes de socialisme, pour lequel il suffirait de transformer les structures pour « racheter » l’humanité.

Et dans ses ultimes conséquences, dont nous faisons aujourd’hui l’expérience, cette logique engendre des collectifs victimaires, jugés moralement irréprochables, dont la parole devient absolue. Appartenir à l’un de ces groupes confère une innocence immédiate ; en être exclu, c’est hériter d’une faute originelle. Ainsi se forme une nouvelle morale, aussi dogmatique qu’inflexible. Dans ce climat, le jugement moral, et parfois même juridique, se fonde sur l’appartenance identitaire. La raison s’efface devant une morale affective et manichéenne dans laquelle certains sont présumés vertueux et d’autres irrémédiablement coupables.

À Lourdes, Marie vient consacrer une vision tout autre de l’homme. Elle se présente comme l’icône vivante de l’accueil parfait de la grâce, grâce qui peut engendrer en nous une vie nouvelle. Grâce à la Rédemption, l’homme peut devenir une « création nouvelle ». L’eau pure jaillit du fond de la boue, image limpide de notre transformation par le Christ.

La conception immaculée de Marie nous invite à contempler ce que saint Paul annonce dans l’Épître aux Éphésiens (1, 5) : nous sommes appelés à être « saints et immaculés ». En accueillant les fruits de la Rédemption avec Marie, nous entrons dans cette restauration profonde qui se déploie tout particulièrement dans les sacrements, et plus encore dans celui de la réconciliation.

Ainsi apparaît, à contre-jour, le drame de la modernité : en refusant une vision réaliste de l’homme, capable du bien par la grâce, mais aussi du mal lorsqu’il demeure seul sans Dieu, notre société s’enferme dans une morale séculière du ressentiment, où l’on vénère de nouveaux « immaculés » pour mieux condamner les autres. Nous avons tant besoin de revenir à Massabielle, sans fuir la boue, pour que l’eau pure soit la source de nos vies et de relations assainies dont nous avons tant besoin aujourd’hui !