« Droit à l’euthanasie : Euthanasie de la raison ». Considérations au-delà de toute croyance religieuse.
Le débat sur le droit au suicide assisté a provoqué de réactions de toute sorte. « Qui sont ces rétrogrades qui, avec leurs considérations métaphysiques et leurs superstitions religieuses, tentent de violer notre droit sacré à la liberté de mourir quand on le veut librement ? » Tel semblait être le cri militant d’un groupe de pression qui a violemment assisté au débat sur « la fin de vie » ce dernier temps.
Le royaume du « Soi » mène à la mort revendiquée comme un droit. En grande partie parce que l’instinct de vivre, "naturellement inscrit dans le cœur de l’homme", a été progressivement érodé par la résignation continue de la raison fabriquée par l’esprit des "Lumières", jusqu’à atteindre dans les derniers "acquis sociaux de nos démocraties" le droit à l’avortement et le droit au suicide assisté. Ces concitoyens semblaient dire « Nous avons presque atteint que le suicide assisté soit une exigence absolue pour honorer notre liberté ».
L’un des spectacles les plus horribles auxquels l’homme contemporain puisse assister est l’effondrement général de la raison. On le perçoit dans le débat (ou l’absence de débat, plutôt) sur l’euthanasie, où des personnes « illustrées », disposant d’un forum médiatique ou politique, ont établi que toute personne qui s’élève contre ce prétendu « droit » doit être pointée du doigt, car elle est contre le « droit humain de la liberté ». Il est étonnant que de telles absurdités puissent être clamées fièrement sans que personne n’ose s’en plaindre, par peur de l’anathème.
Face à cet état des faits, il convient de noter que le concept de « liberté » n’est pas univoque, même si les ignorants le revendiquent. Il y a une liberté aristotélicienne qui aiderait à discerner d’un point de vue moral dans la recherche de la vérité ; et il y a une liberté dégradée qui permet à l’homme de se débarrasser de tout ce qui le limite et le gêne, exaltant les passions les plus maladroites et les ambitions les plus égoïstes, au nom d’une individualité souveraine, autonome, indépendante de tout sauf d’elle-même.
C’est cette deuxième conception dégradée de la liberté qui est habituellement évoquée dans le débat sur l’euthanasie ; mais ceux qui l’élèvent le détruisent en encourant une aporie insurmontable. Pour le démontrer, nous recourrons à l’autorité des auteurs de la tradition libérale, afin qu’il ne soit pas dit que nous soyons influencés par la « superstition religieuse ». John Stuart Mill a écrit dans On Liberty que « le principe de liberté ne peut pas exiger que l’on puisse être libre de ne pas être libre ». En effet, à moins d’avoir décidé d’embrasser l’irrationalité, nous devrons reconnaître (peu importe combien nous défendrons la conception la plus dégradée de la liberté) qu’aucun principe ne peut servir de fondement à sa destruction. Et, en prenant nos vies, nous détruisons la liberté que nous défendons.
En effet, c’est une propension humaine naturelle à vouloir préserver l’existence, une hypothèse ontologique pour l’exercice de la liberté humaine. Ainsi vouloir mourir deviendrait un acte contraire à la liberté humaine ; ou, en tout cas, le fruit d’une liberté tarée, une liberté obscurcie par une souffrance physique ou morale, ou par la peur de la subir : douleur atroce, décadence douloureuse, solitude, abandon, voire la simple conscience de devenir une nuisance pour les autres, le reste. Ce ne serait pas une expression de la « liberté humaine », mais un manque de liberté, voire une liberté contrainte, diminuée et occultée (dans certains cas, voire une liberté manipulée par des intérêts extérieurs louches, par exemple d’un descendant désireux d’hériter, ou d’un État qui souhaite réduire ses dépenses de santé).
Nombreux médecins soulignent que lorsque les soins palliatifs s’accompagnent de relations humaines pleines de sens, même les patients qui ont prononcé le droit de mettre fin à leurs jours en décident autrement. La personne retrouve ainsi la raison qui la pousse à vivre. Le suicide assisté peut apparaît à la suite d’un désir induit par des proches ou par des médecins qui se trouvant devant un échec médical abandonneraient le patient à leur sort. L’euthanasie comme induction à « ne pas déranger » l’autre, ou l’État, peut-elle être qualifiée véritablement de « liberté individuelle ultime » ?
"Celui qui a un ’pourquoi’ vivre peut supporter n’importe quel « comment »", affirmait Nietzsche. Et certainement, il y a des « comment » très affligeants ; mais cette affliction est directement proportionnelle au manque des « pourquoi », des raisons pour lesquelles préserver la vie. Et ces « pourquoi » qui donnent sens à la vie ne sont pas des fantaisies, mais des réalités substantielles et distinctes de nous-mêmes. Des réalités qui nous appartiennent et auxquelles nous pouvons appartenir, car nous ne sommes pas des êtres souverains et autonomes, mais dépendants et liés. Et ces liens et dépendances constituent ce qui nous rend véritablement libres. Par ces liens notre raison trouvent une lumière qui nous soutient dans l’élan de continuer à vivre. L’agir éthique consiste à restaurer ces « pourquoi » que les patients ont perdus. En revanche, accepter l’absence de ces « pourquoi », et ensuite donner réponse à ce vide en affirmant le droit d’administrer la mort, serait une véritable euthanasie, celle de la raison.