Edito Novembre : "« Il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait pas naviguer... »

7 décembre 2025

par le P. Paco Esplugues

En ce mois de novembre, pour différentes raisons, la question du temps se pose.

La Toussaint et la visite des cimetières nous rappellent le passage de nos proches et amis. Mais cette période nous donne parfois des frissons, car la mort de nos proches évoque aussi la nôtre.

D’autant plus que des signes de maladie peuvent se manifester dans notre corps ou dans celui de nos proches : le cancer de ma sœur, l’accident de mon père, l’hémorragie cérébrale d’une jeune fille que je connais, les conflits armés, ou encore la menace terroriste… La question du temps surgit alors soudainement, de manière menaçante.

En ce mois, la question du temps présent et de sa gestion se pose également dans la vie quotidienne. La rentrée est terminée, et nous voilà plongés dans l’« ordinaire du travail » et ses soucis. La question du sens de ce que nous faisons s’impose à nous : sert-il à quelque chose de brûler mes neurones dans ce train-train quotidien ?

La tension entre « être cool », « rester zen » et répondre à toutes les sollicitations liées à nos charges familiales, professionnelles ou autres n’est pas gagnée d’avance.

Cette gestion est parfois joyeuse lorsque les succès nous encouragent, mais elle devient hautement problématique lorsque les échecs nous taraudent l’esprit.

Par ailleurs, la liturgie de ce mois est traversée de références apocalyptiques qui reviennent chaque année. Elles nous touchent sans doute davantage aujourd’hui, car nous percevons clairement que la manière dont nous gérons la planète affecte l’équilibre cosmologique, et que l’horizon de la fin menace notre culture.

La sensibilité écologique imprègne de plus en plus notre quotidien ; pourtant, nous continuons à nous diriger collectivement vers la catastrophe, en exploitant nos ressources de manière toujours plus consumériste… et en poussant un peu plus la barque vers le naufrage que nous redoutons !

Comment, dès lors, gérer le t emps et déterminer nos priorités ?

Faut-il tendre vers un équilibre plus écologique ou vers une production accélérée, comme une fuite en avant sans véritable issue aux crises économiques ?

Ces tensions influencent continuellement nos rapports sociaux :

« Ma gestion du temps est écologique, mais celle de l’autre est polluante » ;

« Ma mort, il faut l’éviter, mais celle de l’autre, il faut l’accepter, voire la provoquer. »

Bien sûr, nous ne résoudrons pas toutes ces concomitances automnales autour de la question du temps d’un coup de baguette magique. Mais je perçois que l’appel de cette période à envisager le temps du point de vue de Dieu est plus concret et plus enraciné que ce à quoi nous sommes habitués.

Quand nous essayons de résoudre ces questions avec nos propres paramètres, l’équation reste insoluble : la fuite en arrière, la fuite en avant ou la paralysie sont des issues trop fréquentes. Mais si nous parvenons à ouvrir notre regard sur le temps présent au regard de Dieu, nous pourrons vivre ce présent avec tout ce qu’il comporte — joies et espérances, deuils et angoisses — dans la double dimension de citoyens de notre histoire et de citoyens du ciel. Ce regard devient alors une source de consolation dans les événements du présent.

J’ai été un jour profondément marqué en écoutant Juliane Picard, rescapée d’Auschwitz, venue témoigner il y a quelques années à la mission étudiante. Son récit, toujours aussi poignant, m’a impressionné par la force tranquille qui s’en dégageait, surtout lorsqu’elle parlait de sa relation aux autres, de l’amitié partagée, et de sa relation avec Dieu. Cette relation lui avait permis d’apprivoiser le temps. Elle conférait à son regard et à ses paroles une puissance inouïe — des paroles qui nous plongent encore dans une sérénité et une jeunesse d’esprit enviables.

« Il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait pas naviguer ».

Celui qui vit le présent dans le présent de Dieu trouve toujours, au cœur des vents parfois orageux de la vie, la bonne orientation, celle qui fait du présent non menacé l’avant-garde du ciel ».

Bon automne à tous !